Jean-Philippe, vous êtes sociologue (Université Pierre Mendes France à Grenoble) spécialisé dans l’enseignement et la recherche en sciences sociales (UCO Ecoles de Commerce ESSCA ESCEM, IFCI). Vous enseignez dans diverses écoles et universités, vous êtes notamment spécialisé dans le management de l’innovation et de l’organisation, mais vous dîtes que l’enseignement est une étape et vous avez désormais le projet de publier un ouvrage à propos des personnes « surdouées » et aussi un espace d’échanges, d’information, de formation réservé à leur accompagnement.
J’ai effectivement enseigné les sciences humaines et sociales, tant en formation initiale qu’en formation continue, dans différents établissements d’enseignement supérieur. Aujourd’hui, « armé » de cette expérience et « outillé » des divers concepts rencontrés dans les disciplines qui forment les sciences humaines et sociales, je ressens le besoin de passer à autre chose. François Roustang dit que 40 ans c’est le bon moment pour entamer une nouvelle carrière. Et il est vrai que voilà environ dix ans que d’autres projets me trottent dans la tête.
Voulez vous dire que l’enseignement, tel qu’il se réalise aujourd’hui, n’est plus adapté à vos convictions d’enseignant ?
Je dirais que je me reconnais de moins en moins dans la direction que l’enseignement et la recherche ont pris. On pourrait développer mais ce n’est pas ici le lieu. Ainsi, l’envie de faire autre chose, autrement, s’est faite jour. A cette époque mes projets étaient encore vagues mais tous convergeaient vers cette idée : aider, sans trop savoir bien comment (ni trop pourquoi), mais aider les personnes ayant des profils atypiques. Cet intérêt était basé sur ma propre expérience. J’ai en effet fréquenté diverses organisations (essentiellement d’éducation et de formation : Grandes Ecoles, Université, cabinet de conseils) et ai à chaque fois expérimenté « douloureusement », le fait de penser et de faire différemment. D’où cette idée, fort donc de mon expertise et de mon expérience, de me mettre au service de ce qu’on appelle d’un terme générique, qui vaut ce qu’il vaut : la « différence ».
Vous mettre au service des personnes différentes ?
En fait de « différence », je pense aux personnes qu’on appelle indifféremment « surdoués », « précoces », « hauts potentiels » ou bien encore « zèbres », etc. étant personnellement « confronté » à ce « problème » ou cette question. En disant ici cela je m’aperçois que quasi tous les mots sont sujets à guillemets. Et qu’en cette matière quelque peu explosive on marche sans cesse sur des œufs, risquant à tout moment le faux-pas, puisqu’on a tendance à associer surdoué et suprêmement intelligent ce qui n’est pas le cas. Notons que cela peut être le cas si on corrige aussitôt : le surdoué est doté d’une manière de penser, qui peut être handicapante sinon un handicap.
Est-ce notre incapacité à savoir gérer nos « surdoués » qui est à l’origine de la dégradation de la qualité de notre vie, de notre organisation économique et sociale en France ?
Dire de la « dégradation de la qualité de notre vie » qu’elle serait le résultat de la façon dont la société traite les « surdoués », ça serait beaucoup dire. Car il faudrait d’abord montrer en quoi dégradation il y a. Il est vrai, comme il est dit en substance dans la Constitution suisse, qu’une société s’évalue à la manière dont elle traite les plus faibles et notamment les minorités. Assurément les « surdoués » sont minoritaires dans notre société où bien traiter les individus c’est les intégrer, leur trouver une place qui, si possible, leur convient. Mais on dit aussi proverbialement que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et l’intégration peut s’avérer être un piège. A supposer que cette intégration soit possible. Car le « surdoué » veut-il être intégré ? Si oui le peut-il ? Si oui encore, à quel prix ? Souvent le prix fort. Car leur manière de faire, de penser et de dire, les fera apparaitre aux yeux des personnes dites « typiques » au mieux comme insolites (et autres synonymes) au pire comme monstrueux. Notons que cette extravagance est souvent une niche d’innovation. Mais déplorons aussi dans le même temps toutes les innovations dont on ne bénéficie et ne bénéficiera point par invisibilité, le « surdoué » ayant appris à goûter l’ombre et à y prendre goût.
Les « surdoués » peuvent pratiquer tous les métiers ; mais à leur façon : archaïque, primitive, y compris quand ils sont à la pointe de l’innovation et de la technologie. Cela peut aller jusqu’à une forme de brutalité, quand il s’agît de bousculer les normes et les règles, surtout dans les relations sociales. Je dirais qu’en toutes circonstances ils sont « old school ». Raison pour laquelle leur façon s’exercer leurs métiers seront décriés, dévoyés, ringardisés et eux traités de « has been » et d’inadaptés.
Pour des raisons qui leur sont propres et sur lesquels je reviens dans un petit bouquin en préparation, ils excellent dans les métiers manuels et surtout les vieux métiers. Métiers dont je déplore, comme vous, la disparition car ils sont porteur d’un savoir et d’une mémoire collectives qui gagneraient à ne pas être seulement muséifiés mais aussi et surtout (re) actualisés. Ici se marque donc moins une dégradation qu’une déperdition.
Ces métiers dans lesquels les « surdoués » excellent et les gestes qu’ils impliquent, on les retrouve dans l’art et l’artisanat. Et, pour terminer de répondre à votre question je risquerais ceci : quel que soit le métier exercé, les « surdoués » l’exerceront toujours en artisan, voire en artiste, même si ce sont souvent des artistes incommodes.
Selon le Forum économique mondial la France n’est pas dans les 25 meilleurs pays du monde pour créer une entreprise et se classe seulement à la 12ème place des pays dans l’indice mondial de l’innovation. Il semblerait que notre développement économique et social ai pris pas mal de retard comparé à d’autres pays. La France semble être devenue une puissance économique en déclin ?
Si déclin il y a, il ne peut être imputé à la situation faite aux « surdoués » et autres personnes « différentes » même si cette situation y contribue certainement, mais à son échelle. Freiner ce déclin passerait certainement, aux delà des vœux pieux et des déclarations d’intention, par tolérer puis valoriser ce que Josef Schovanec appelle les « intelligences multiples », même celles qui heurtent le bon sens et les « bonnes pratiques ». Cela pourrait dessiner un programme de réforme, auquel les « surdoués et autres « atypiques » pourraient contribuer, depuis les Ecoles en tous genres jusqu’aux entreprises, en passant par les nombreuses autres organisations.
Quelle méthode proposez-vous pour réussir à utiliser cette réserve d’intelligence que semble constituer les « surdoués » au profit de notre société ?
Il y a deux axes dans votre question. Un axe social et un axe personnel.
L’axe social concerne le politique, son éventuelle volonté et sa capacité à mobiliser les « intelligences multiples », ce qui nécessite d’abord leur connaissance et leur reconnaissance. Mais avant toute chose leur détection, car, comme on l’a déjà dit, ces « intelligences multiples » ont souvent choisi l’ombre. Quoi qu’il en soit les « filons » sont nombreux et variés, présents dans toutes les couches sociales mais difficilement « exploitables ». Le second axe, lorsque vous parlez de « méthode » concerne l’orientation professionnelle que je souhaite prendre et qui consiste donc à accompagner les surdoués, adultes de préférence, les enfants et les adolescents se destinant essentiellement à être testés par les professionnels assermentés, même si, bien entendu, ils sont les bienvenus.
Ma démarche, terme qui convient mieux que « méthode », s’apparente à celle d’un thérapeute. Elle procède concrètement d’un accompagnement, hors les murs d’un cabinet classique, sur les bases d’une « théorie » que je dévoile dans ce petit ouvrage en cours d’écriture. Cet accompagnement est destiné à débusquer des pistes insoupçonnées pour, compte tenu du profil « atypique », cheminer dans l’existence.
Dans cette ouvrage j’essaie notamment d’expliquer pourquoi, de mon point de vue, les professionnels attitrés ont beaucoup de mal, voire échouent quasi systématiquement avec les surdoués. Démarche et ouvrage paraitront sans doute insolites, pour ne pas dire saugrenus. Le pari étant qu’ils parleront aux personnes à qui ils se destinent, à savoir plus particulièrement : aux adultes surdoués, souvent déphasés par la société dans laquelle ils sont de fait contraints d’évoluer. Disons rapidement que cette démarche s’inspire aussi de la vie et de l’œuvre de, selon nous, surdoués célèbres (aux parcours de vie très surprenants) et de ce dont on pourrait en faire ici et maintenant. Je le répète, nous désirons accompagner tous ceux qui sont concernés par cette problématique de la précocité. Mais les adultes restent notre « cible » privilégiée.
La question qu’on ne manquera pas de nous poser et que nous nous sommes posée est celle-ci : sur quoi se fonde notre légitimité ? Pour Jacques Lacan, le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même. Réponse rouée en fait puisque ne se réclamerait-il que de lui-même, il se réclamerait aussi des autres : de ceux qui l’ont diplômé pour commencer. Mais, dira-t-on, un sociologue ce n’est pas un psychologue. Voire même il pourrait être son inverse. Certes. A cela je dirais : on s’étonne toujours qu’un sociologue fasse de la psychologie, jamais qu’un psychologue, un psychanalyste ou un psychiatre, fasse de la sociologie ; ce qu’ils ne manquent jamais de faire. Or personne ne parle à ce propos d’analyses sauvages.
Ceci dit, on n’avance pas démuni sur le terrain du haut potentiel, chasse gardée du « peuple psy » pour reprendre une expression de Daniel Sibony. Nous sommes, comme nous l’avons dit, « armé » de notre expérience d’enseignant-chercheur donc « outillé » des divers concepts rencontrés dans les disciplines qui forment les sciences humaines et sociales. A ceci s’ajoute la « base de données » que représentent nos observations quotidiennes sur nous et nos proches. Base de données qui, pour certains psychanalystes (par exemple Carlos Tinoco, psychanalyste et surdoué lui-même), est une ressource capitale, permettant même de surseoir aux sacro-saints tests de QI qui semblent être le seul passage obligé pour mettre un pied sur le « territoire » du haut potentiel.
Avez-vous déterminé une date pour la publication de votre démarche ?
Il ne s’agit pas de créer une école, ni même de faire école. Dans le domaine de la « douance », ce ne sont pas les écoles et autres académies qui manquent. Mon souhait c’est de créer un espace, au sens le plus large possible, dans lequel puisse se déployer, aussi à l’aise que possible, les intelligences multiples, y compris, surtout, les plus incommodes, les moins accommodantes.
Quant au petit ouvrage, j’espère sa publication le plus rapidement possible. Je ne possède pour l’instant pas de sites présentant mon approche et ma démarche. J’y réfléchis, misant en attendant, outre sur mon expérience, sur le livre évoqué précédemment.
Merci Jean-Philippe d’avoir accepté de nous présenter votre projet, votre démarche et vos idées. N’hésitez pas à venir en discuter lors de nos conférences d’échanges. Elles sont ouvertes à tous.
Peut-on vous contacter directement ?
Bien sûr voici mes coordonnées
Jean-Philippe D’Introno Jp.dintrono@orange.fr 06 78 34 00 53
A bientôt et au plaisir d’un nouvel échange